Mille battements : extrait du chapitre 14


La plus belle chose que nous puissions éprouver, c’est le côté mystérieux de la vie. C’est le sentiment profond qui se trouve au berceau de l’art et de la science véritables. Celui qui ne peut plus éprouver ni étonnement, ni surprise, est pour ainsi dire mort :
ses yeux sont éteints.
ALBERT EINSTEIN, The God Letter, 1954.
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Extrait du chapitre 14 :
De manière générale, on considère qu’un rythme cardiaque normal au repos est compris entre 60 et 100 battements par minute. Pour les enfants, il est compris entre 60 et 140 battements par minute.
Tous les enfants rêvent de devenir un super héros. Nous avons tous le souhait de nous sentir utiles, importants, d’être aimés, admirés tout simplement.
***
Trois ans plus tôt.
—°J’ai gagné Laly !
—°Oh ! Ça va ! Pas besoin de le préciser.
—°J’ai gagné ! J’ai gagné ! J’ai gagné !
Installée dans la cabine du VSAV entre Laly conductrice et Benoît chef d’agrès, je sautille sur place. Nous sommes le 25 décembre et les gens sont en famille. Habituellement, c’est un jour calme en termes d’interventions. Mais j’ai parié une boîte de chocolats que nous en aurions au moins une. Elle était convaincue que nous passerions notre temps à nettoyer la caserne et à regarder les émissions niaises de circonstance. La main posée sur mon ventre, je dégrafe le bouton de mon pantalon pour mieux respirer. Le foie gras apporté en cadeau par le charcutier du quartier est en cours de digestion. C'est pour cette raison que j'adore Noël, parce que la magie opère et dévoile la générosité du peuple.
—°On part pour quel motif ? demandé-je à Benoît en train d’étudier la feuille de départ.
—°Malaise et vomissements, enfant de quatre ans.
La feuille de départ. En tant que pompier, nous apprenons très vite que les données sur ce document sont à prendre avec précaution. Nous ne savons jamais vraiment la raison complète de notre mobilisation. Entre les informations délivrées par les témoins ou la victime, celles réceptionnées par le Centre Opérationnel Départemental d’Incendie et de Secours et celles sur cette feuille, bien que chacun fasse au mieux, il y a souvent un décalage. Alors nous évitons toutes suppositions.
—°On a un bon quart d’heure de trajet, explique notre leader.
—°C’est mieux que de rester devant le journal télévisé avec son fameux tour de France des plus belles crèches de Noël.
Benoît est ce genre de type silencieux, qui prend à cœur son rôle de chef. Il ne commente pas les blagues. Il reste stoïque. Il garde son avis pour lui, si tant est qu’il en ait un. Il est soucieux de préserver sa concentration sur ce qui nous attend. Il sait que tout repose sur lui et qu’il n’a pas le droit de faillir. Quand il est mal à l’aise, j'ai remarqué deux tics : il se racle la gorge et se gratte la nuque.
Laly appuie sur le deux tons et insulte un camionneur qui tarde à s’écarter pour nous laisser passer.
Pour des personnes extérieures au monde des pompiers, cela peut paraître bizarre, mais j’adore intervenir sur des enfants, car c’est challengeant. Dotés d'une subtile intelligence, nous devons faire appel à notre imaginaire pour les rassurer et les convaincre du bien fondé de nos soins. Un jour, je suis intervenue pour le petit Marius, huit ans, fracture du poignet. Alors que nous l'installions sur le brancard, je remarquais qu’il portait une chaîne avec comme pendentif, l’anneau du Seigneur des anneaux. Tous les enfants rêvent de devenir un super héros. J’ai sauté sur l’occasion pour tisser une histoire autour de cet objet et apaiser sa douleur le temps du trajet, direction les urgences. Il avait des étoiles plein les yeux. Probablement l’uniforme qui fait que nous sommes aimés de la population et qui nous pousse à donner le meilleur de nous-même.
—°C’est dans cette rue, indiqué-je à Laly.
Tandis qu’elle se gare devant un pavillon, j’enfile mes gants en nitrile et lui en prépare une paire.
—°Vous prenez tout ! nous ordonne Benoît déjà descendu du véhicule pour aller prendre contact avec la famille.
—°Pas le sac O2 quand même ? contesté-je.
—°Si je te dis de tout prendre, tu prends tout !
Je saute du VSAV et m’exécute. Pas besoin de débattre sur ce sujet. Je fais confiance à mon chef d’agrès qui a suffisamment de vécu pour savoir quelle décision appliquer. Lui seul détient le panorama de toutes les informations utiles.
À notre entrée dans la maison…